L'oignon


L'HISTOIRE DES EGNONS DE SAINT-URGHENT OU L'OIGNON ROSE DE SAINT-TROJAN...

O y at' ine chanson qui dit : « A St-Urghent, boun' ghens, y mangheant point d'anguilles y mangheant des sarpents fricassés sû la grille ». Et que si, qu'y n'en mangheant des anguilles ! Mais y mangheant étou des égnons et y n'en fasant v'nit' pr les autres.

Nous sommes entre 1920 et 1930, c'est la fin de l'égnon. S'ti, 'qu'o d it, Papina l'ricbe, jh'ai fait 90 000 francs d'égnons thie 'tte an-nee !!!... Arnesse « la kierinette »... pac' qu'y n'en joue au bal... Ii, Y dit : 0 nous faut thieu por faire 3 ou 4 sous, tous les ans ».


La vérité se trouve au milieu, et c'est un apport très substantiel dans l'économie des ménages oléronais ayant la chance de posséder « des sables ». Car l'oignon de Saint-Trojan est cultivé dans les terrains sablonneux qui sont entre dunes et marais salants, et spécialement dans cette commune, le reste de l'ile s'étant spécialisée dans la vigne. Avec le vent, les sables de ces dunes sont venus, au cours des siècles, amender les terres grasses des marais et le silico-argileux convient très bien à la culture de notre précieux légume. Les habitants de la commune du Château, qui désirent eux-aussi augmenter leurs revenus, achètent, quand ils le peuvent, quelques ares de ces terres vers chez-nous. Ils n'hésitent pas, avec leurs charrettes, à faire une quinzaine de kilomètres pour venir dans les « bris », ces quelques dizaines d'hectares de lais de mer enclavés au sud de notre île. Ils y cultivent leur « garet » d'oignons avant de retourner chez eux le soir, après avoir fait encore cette longue route.

Le terrain où l'on doit le mettre se prépare à l'automne. On défonce, à l'essée ou la fourche, en enfouissant du varech de préférence, car le fumier est trop chaud. Ce varech, appelé « sart » chez nous, est cueilli les jours d'ouverture, en octobre, par centaines de tonnes sur le rocher d'Ade qui découvre en basse mer entre l'ile et le continent .

Très tôt, en hiver, on retourne une nouvelle fois le terrain, et l'on sème « en planches », le jour de la chandeleur ; c'est le meilleur moment d'après la coutume.

La graine d'oignons du pays est de la graine que l'on a récolté, soi-même l'été précédent, et provenant des plus gros oignons mis en terre spécialement à cet  effet.

Celui qui manque de graine en achète a son voisin ... un verre ... deux ou plus, c'est la mesure, elle ne se vend pas au gramme ou au kilo.
C'est un oignon de couleur rose ; peut-être ... «  le rouge pale de Niort  », est celui de notre époque qui lui est le plus ressemblant, si ce n'est lui !... Il est excellent à manger cru.
On dit qu'il est doux, et de ce fait, « il n'emporte pas la goule  » comme la grande majorité des autres espèces.
On le sème donc, vers le début de février, si le terrain n'est pas noyé, et «  en planches  » comme il est dit plus haut, d'à peu près quatre-vingt centimètres de large.
C'est assez pour que l'on puisse sans trop se fatiguer, en se trainant sur les genoux, comme à l'habitude, « éssermer » facilement (pour « mieux parler : sarcler - arracher les mauvaises herbes qui vont sortir elles aussi avec le soleil) une quarantaine de jours après le semis.
Pour la semer, la petite graine noire a été mélangée dans un panier a vendange (celui qu'on retrouve dans « toutes les sauces  ») avec du sable bien sec ; ceci permet aux grosses mains calleuses de ne pas en laisser tomber trop à la fois de ces si précieuses et si petites « choses  ». Quelques jours après le premier sarclage, lorsque nos «  petites bêtes  » sont hautes comme le doigt, on procède à l'éclaircissage : on arrache ceux qui sont trop près les uns des autres, et on les repique aussitôt dans les trop, grands espaces vides.
L'idéal est d'avoir de quatre à six centimètres en chacun d'eux.
S'ils sont trop serres, on récoltera des petits oignons, il en faut c'est vrai !... s'ils ont beaucoup de place, ils viendront plus gros, il en faut aussi !...
Aucune surveillance spéciale, que de passer de temps en temps, pour arracher les « vilaines  »
méchantes  herbes  qui pourraient  ressortir.
Attention aux « s'niques  » et aux « pattes de canes  », ce sont les plus gênantes.
Mais dans terrain engraissé au « sart », il est certain que l'on ne retrouvera jamais autant de mauvaises herbes que derrière le fumier chargé, lui, de toutes les graines de foin.
Moins de parasites aussi dans la terre, moins de « fumerolles  » et de ver «  fil de fer  ».
Les oignons, selon qu'ils auront été semés plus ou moins tard, selon I' emplacement du terrain, selon la température, sont murs du 15 juin  au 15 juillet.
II faut les surveiller, les arracher pendant que la queue est encore un peu verte, quand elle jaunit, commence a se coucher, mais n'est cependant pas trop sèche, car il faut .qu'elle garde une certaine souplesse pour  les opérations  qui vont suivre.
Aujourd'hui, on arrache donc les oignons, et demain, et après-demain, si « 0 fait bia », et on les étend sur une seule couche, sur un lit de fougère qu'on est allé faucher précédemment.
Si les oignons sont emmenés dans les hangars ou dans les chais, on les laisse sécher à l'ombre ; s'ils restent dans les champs, on met aussi quelques fougères sur les bulbes pour éviter les coups de soleil qui auraient pour effet de provoquer la pourriture dans les jours suivants.
Très vite, après que la queue, ordinairement creuse et cassante, soit devenue sèche, jaunie et molle, hommes, femmes et enfants, pendant plusieurs jours vont y travailler.
L'ouvrage des «  drôles  » c'est « d'ébarber  » c'est à dire couper les racines au couteau sans blesser « l'égnon  ».
A I'aide de paille de seigle, parce que c'est la moins valeureuse pour les bêtes qui ne l'aiment pas, la plus longue et la moins cassante, on fait des tresses a trois brins dans lesquelles on incorpore la queue de l'oignon, ne laissant ressortir que le bulbe.
Pour éviter que la paille ne se broie en la travaillant, on l'humidifie de temps en temps, de quelques  gouttes  d'eau.
Sur la « natte », la même disposition des oignons est toujours respectée, on incorpore d'abord les petits, ensuite les moyens et l'on termine la natte par les gros.
Le but recherché dans ce travail, étant la vente et pour conserver les habitudes, l''objectif est de mettre treize oignons dans la corde et sur une longueur convenue allant de 70 à 80 centimètres.
Lorsqu'au bout de quelques jours l'opération arrivera à sa fin, il y aura quand même des cordes avec un nombre variable d'oignons du fait que cette année l'on avait trop de petits ou trop de gros oignons (celles-ci étant réservées à la consommation personnelle).
La natte est attachée à un bout comme à l'autre, pour éviter qu'elle ne se défasse, avec de petits brins de carex que nous appelons « souchettes ».
Ces nattes sont mises à sécher, elles-mêmes, a l'ombre, pendant plusieurs jours, jusqu'à temps qu'il n'y ait plus aucune humidité dans I' ensemble, à seule fin d'éviter moisissures et pourriture, chacune d'elles pesant autour d'un kilo, mais ce qui n'est pas le but recherché.
Ensuite, elles sont réunies par paquet, au nombre de 13. On ne les appelle pas « nattes ». On les nomme « cordes d'oignons ». 13 cordes reliées ensemble par le petit bout forment un « paquet d'oignons ». C'est lourd ... !
L'ensemble, de 70 à 80 centimètres de haut, prend la forme d'un tronc de cone puisque tous les petits sont en haut et tous les gros en bas.
Ces cordes sont reliées entre elles, solidement, pour éviter que l'une d'elle glisse et ne défasse I' ensemble par une grosse ficelle.
L'amarrage se termine par une boucle et notre paquet est suspendu par elle à une grande pointe dans le grenier, le chai ou un hangar.
C'est ainsi que l'on peut voir encore, en de vieux édifices de notre commune, les poutres garnies de ces pointes, fichées tous les 40 ou 50 centimètres, destinées à recevoir parfois plusieurs centaines de paquets d'oignons, pesant chacun de 12 à15 kilos.
Victor « qu'avait été » à l'école en même temps que mon grand-père... et qui est devenu l'Abbé Victor Belliard, nous a laissé sur notre faim dans ses écrits sur Saint-Trojan, et nous n'avons pas eu beaucoup de détails, mais nos parents nous ont laissé songeurs et combien ébahis dans leurs récits, le soir au coin du feu : « Voui, mon fi, nout' ouésin Desiré Patoizeau, y fasait boun' an, mal an, ses 50 000 cordes d'égnons ».

Le plus intéressant pour le propriétaire, reste donc à faire : Vendre... Mais, c'est vendu d'avance.
Nous avons aujourd'hui des courtiers en vaches, gorets et autres marchandises. II y avait en ce temps-Ià des courtiers en « égnons », et ce qui ne se vendait pas dans l'ile, se vendait « su la grand-terre », et partait à La Rochelle, Nantes, Bordeaux par chaloupes, dundees, chasses-marée et autres goélettes.
Quatre à cinq mille tonnes d'oignons étaient ainsi vendus, ce qui laissait dans notre commune une manne substantielle (ce qui faisait 4 à 5 millions de kilogrammes).
Une vente au détail, plus rémunératrice, était pratiquée par quelques patrons de bateaux Saint-Trojanais qui colportaient dans les villages de la « rivière de Bordeaux » (on employait pas le mot Gironde ou rarement à cette époque).
Ces matelots, et même quelques adolescents non inscrits sur les rôles d'équipage, une fois arrivés dans ces petits ports, partaient à pied avec un paquet d'oignons sur l'épaule au bout d'un bâton, et vendaient leur marchandise aux bonnes gens des rives, au paquet ou à la corde. Voilà ! En dehors des plus gros oignons que l'on mettait de côté pour les piquer en terre à fin janvier, à seule fin qu'ils forment de la graine, il n'y avait plus que des petits, gros comme le bout des doigts. On en faisait des « r'nayies » : piqués, eux-aussi, très tôt en terre, très près les uns des autres, ils étaient bons à manger longtemps avant ceux semés.
C'est ce que plus tard, nous avons appelé les « oignons de Mulhouse ».
II faut avoir fini de les manger avant que la queue monte en graine car le bulbe, lui aussi, devient creux et sans saveur.

Ni, Ni, c'est fini de l'égnon de St-Urghent !...

A l'heure actuelle, même les habitants de notre commune l'ont abandonné. D'abord, « y' a pû d'pésans »... et les gens s'approvisionnent chez l'épicier du coin avec le « jaune paille des Vertus » qui nous vient d'on ne sait où, et... qui vous « emporte la goule ».


Ce récit est tiré : d'une bien belle histoire écrite en 1982 par André Bottineau et recueillie par Arlette Dodin.

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